Christian Polak : Actuellement, 60 000 tonnes d’uranium sont consommées chaque année dans le monde. Pour les prévisions de consommation des années à venir, l’échéance de 2050 a été retenue par le World Nuclear Association, car c’est aujourd’hui la date qui nous permet d’établir les projections les plus fiables au regard du parc nucléaire actuel et celui programmé. Si l’on table donc sur l’échéance de 2050, on estime que les besoins annuels seront alors de 100 000 tonnes. Une augmentation qui s’explique par le développement important du nucléaire, un peu partout dans le monde.
D’ici 2050, la demande d’uranium aura doublé
C.P. : Bien sûr ! Selon les données 2022 de l’AIEA qui publie tous les deux ans dans son livre rouge un état des ressources minières en uranium dans le monde, il existe à date 8 millions de tonnes de ressources raisonnablement assurées et susceptibles de pouvoir être exploitées de manière économique. Et ça n’est qu’une estimation à un instant T ! L’uranium est abondant sur Terre et les ressources n’ont pas encore été toutes découvertes. Les plus importants gisements actuels, ceux de l’Athabasca au Canada ou celui d’Olympic Dam en Australie, n’existaient pas aux yeux du monde il y a soixante ans ! Avec la reprise des prix en 2005-2006 et récemment depuis 2021-2022, les permis d’exploration se sont multipliés ce qui a permis de nouvelles découvertes. Aujourd’hui, on exploite des mines d’uranium dont la plus pauvre contient 350 g d’uranium par tonne de minerai. On estime que la croûte terrestre contient de l’ordre de 2 g/tonne. Il existe donc encore de belles perspectives de rendements pour trouver beaucoup de gisements à très faibles teneurs dans la croûte terrestre ! Si on continue à explorer, on trouvera toujours de l’uranium mais c’est sûr, cela exige des moyens financiers importants qui ne sont justifiés que si la demande est là…
C.P. : En effet, il va falloir aller explorer des gisements de plus en plus profonds, plus éloignés, plus pauvres et plus complexes. Par exemple, au Canada, il y a 30 ans, on devait descendre à 150/200 mètres
pour trouver le minerai. Aujourd’hui, on doit aller jusqu’à 1000 mètres. Les gisements sont plus petits et difficiles d’accès, et d’un point de vue économique ne justifie pas le recours à
des méthodes traditionnelles d’extraction à ciel ouvert ou souterraine. Il nous faut donc innover. Orano est pionnier en la matière. Nous avons ainsi développé en partenariat avec Denison Mines (une entreprise
canadienne) la technologie SABRE (Surface Access Borehole Resource Extraction) qui nous permet d’extraire de petits volumes d’uranium en forant des puits depuis la surface et en faisant remonter le minerai sous forme de boue grâce
à l’injection d’eau sous haute pression. Cette technique innovante permet d’exploiter de manière économiquement rentable des gisements riches et de petite taille qui ne le seraient pas par des méthodes
traditionnelles au vu des investissements nécessaires pour exploiter une mine à ciel ouvert ou souterraine.
Nous nous apprêtons à commencer l’exploitation des poches de minerai sur notre permis de McClean
Lake avec cette méthode (SABRE) dès l’année prochaine.
En termes de recherche de gisements, l’innovation est également au rendez-vous avec des capteurs de plus en plus sensibles
qui associés à des systèmes informatiques puissants permettent à nos géologues de mieux détecter et interpréter les signaux tels les données électriques, magnétiques, gravimétriques
et de radioactivité. Orano mise sur le renforcement des budgets d’exploration couplé à des techniques innovantes pour accroitre dans les prochaines années son portefeuille de Réserves et Ressources en uranium.
C.P. : Pour la seconde moitié du siècle, on estime qu’une large part de la production d’uranium viendra de minerais et de ressources non-traditionnelles en co ou sous-produit comme les IOCG (Iron Oxide Copper Gold – ou gisements contenant du fer, cuivre, or et uranium), les schistes noirs (formations géologiques très courantes qui contiennent souvent des métaux comme le nickel, potasse, cobalt, cuivre et uranium à faible teneur) ou les phosphates. L’uranium pourra provenir également de gisements métasomatiques (des massifs très étendus de roches qui sont issues d’un intense lessivage de solutions salines contenant de l’uranium en petites quantités) ou encore de petites mines proches les unes des autres organisées en district avec une usine centrale pour minimiser les coûts. Cela nécessitera encore d’innover et de repenser les modèles économiques.
Mais en tout cas, je le redis, les ressources d’uranium sont importantes ! Et n’oublions pas également qu’aujourd’hui seul 0,7% de l’uranium naturel est utilisé par la fission nucléaire : le fameux isotope 235. Or, le reste, la part la plus importante, l’isotope 238 (uranium appauvri) qui pour la France est aujourd’hui stocké sur le site d’Orano à Bessines sur Gartempe en Haute Vienne pourra être utilisé par les réacteurs de quatrième génération. Autant dire que cela laisse encore de belles perspectives en termes de ressources et de quoi alimenter pendant encore longtemps l’énergie nucléaire !