L’enjeu du nucléaire dans le contexte de la crise énergétique : les réponses à vos questions

La guerre en Ukraine n’a fait qu’amplifier les tensions déjà existantes sur les marchés de l’énergie. Les Français, tout comme les européens, découvrent les conséquences durables de cette crise géopolitique sur notre approvisionnement énergétique et sur les prix de l’énergie. Et se posent des questions légitimes, notamment par rapport au nucléaire qui est un atout dans la politique énergétique de la France et dans la lutte contre le réchauffement climatique. Alors on tente d’y répondre et de vous éclairer.

Pourquoi notre facture d’électricité va augmenter alors qu’on a le nucléaire en France ?

La hausse des coûts de l’énergie en Europe est massive mais la France s’en sort mieux que ses voisins européens grâce notamment au nucléaire et au plafonnement des prix du gaz et de l’électricité. Le gouvernement français a en effet prolongé le bouclier tarifaire en 2023 avec une hausse des prix pour les consommateurs contenue à 15 % pour le gaz et l’électricité. 
En Allemagne, les ménages paient des factures d’électricité bien plus élevées que la France, avec aujourd’hui une différence d’environ 75 %

Les tensions sur les marchés de l’énergie datent d’au moins 6 mois avant l’invasion de l’Ukraine. La tendance à la hausse des prix de gros de l’électricité s’observe depuis juin 2021, avec un passage d’environ 60-70 €/MWhà des niveaux autour de 200 €/MWh début octobre 2021. Déjà à ce moment-là, on voyait que le moteur de cette hausse de l’électricité était le mécanisme européen de fixation du prix de l’électricité, qui consiste à s’aligner sur la dernière centrale appelée, généralement une centrale à gaz et non une centrale nucléaire. Ce mécanisme est très pénalisant pour la France qui bénéficie d’un prix de l’électricité peu cher grâce notamment à son important parc nucléaire existant. 

Mais le prix de l’électricité est aussi lié à l’évolution des marchés du gaz et du pétrole. Bien avant la guerre en Ukraine, la période post-COVID a entraîné un déséquilibre entre l’offre et la demande en énergie, avec une demande qui est repartie bien plus vite et une offre pénalisée par des sous-investissements dans l’exploration de production. Ces derniers sont en partie dus à des projections sur un ralentissement de la demande en énergie carbonée (pétrole, gaz). Au-delà de ce facteur conjoncturel qui avait vocation à s’estomper, on percevait déjà des facteurs structurels qui nous indiquaient que l’ère de l’électricité pas chère était terminée : une production européenne de gaz qui tend à diminuer, une demande mondiale croissante et la mise en concurrence de l’Europe avec d’autres pays comme la Russie et la Chine.

On dit que le nucléaire contribue à la souveraineté énergétique de la France, alors pourquoi notre pays se retrouve aujourd’hui menacé de pénurie d’électricité

En effet, grâce au nucléaire, la France est indépendante de son énergie à plus de 50 % et le nucléaire assure 70 % de la production française d’électricité. Toutefois, la crise énergétique dépasse la France : elle est européenne. L’Union Européenne s’est rendue de plus en plus vulnérable au fil du temps, important la majeure partie de son énergie, au contraire des États-Unis qui peuvent notamment compter sur leur pétrole et leur gaz de schiste. Ce qui s’est traduit par une forte dépendance énergétique de l’UE. C’est parce que le gaz n’était pas cher que l’UE en a acheté de plus en plus, acceptant de se rendre vulnérable, tout en arrêtant des moyens de production pilotables (centrales à charbon ou nucléaires). 

 

Nous n’avons pas été naïfs, nous avons été cupides »

Ursula Von der Layen, Présidente de la Commission européenne.

 

Au sein de l’Europe, les situations sont très disparates. Des pays sont en situation d’hyper dépendance comme l’Allemagne, qui dépendait à 50-60 % du gaz russe et qui ne disposait pas de terminal méthanier pour importer du gaz naturel liquéfié (GNL) avant la crise. Idem pour la Hongrie qui est dépendante à plus de 90 % de son énergie. La France dépend à moins de 20 % du gaz russe car elle se chauffe moins que la moyenne européenne au gaz. Grâce au nucléaire, la France possède une demande en gaz limitée et a profité de son littoral pour installer des terminaux GNL.

Les efforts européens pour s’émanciper de la dépendance aux importations de gaz russe passent par la diversification des sources d’énergie, tout en prenant en compte les objectifs de décarbonation énergétique (objectif européen de neutralité carbone en 2050).

Les scénarios de RTE (Réseau de Transport d’Électricité en France) font état d’un risque élevé de tensions sur le réseau électrique en janvier 2023. La présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), Emmanuelle Wargon, déclare que « des risques de délestages sont possibles : ils dépendent de la disponibilité des réacteurs nucléaires, ainsi que de la météo et de la consommation électrique des Français ». Le gouvernement a lancé un Plan de sobriété énergétique incitant les entreprises et les particuliers à réduire leur température de chauffage à 19°C.

Pourquoi plus de la moitié de nos centrales est à l’arrêt au moment où on en a le plus besoin ?

24 réacteurs d’EDF sont en effet à l’arrêt sur 56 que compte la France pour maintenance et pour des contrôles relatifs au phénomène de corrosion sous contrainte (CSC) avérée ou soupçonnée. Le manque à produire en France à cause du manque de disponibilité du parc nucléaire est de l’ordre de 100 TWh (terawatt-heure).

Une partie de nos centrales françaises sont à l’arrêt pour plusieurs raisons : 

  • la crise du COVID a freiné les opérations de maintenance prévues en 2020 et qui sont naturellement reprogrammées et échelonnées dans l’année 2022 ;
  • le programme de Grand Carénage, qui désigne un vaste projet et programme industriel de renforcement des réacteurs nucléaires, nécessite des arrêts de maintenance plus longs ;
  • la découverte de phénomène de corrosion sous contrainte pour les réacteurs les plus récents implique des travaux de contrôle et de réparation.

A ce stade pour 2022, EDF considère qu’il n’est pas nécessaire d’anticiper de nouveaux arrêts de réacteurs. Le groupe indique également ajuster son estimation de production nucléaire pour 2022 à 280-300 TWh contre 295-315 TWh précédemment.

Cette crise énergétique n’occulte-elle pas nos objectifs de décarbonation des sources d’énergie ? 

Les états européens, qui font face à l’une des pires crises énergétiques de leur histoire, ne peuvent plus mettre de côté l’urgence climatique. L’Europe a d’ailleurs affiché des objectifs climatiques ambitieux, à savoir zéro émission de gaz à effet de serre d’ici à 2050 et des objectifs très précis à 2030 (par rapport aux niveaux de 1990) : 55 % de baisse des GES, 32 % de part d’énergies renouvelables et 32,5 % d’amélioration de l’efficacité énergétique. Pour atteindre ces objectifs, l’UE doit sortir des combustibles fossiles et mobiliser des capitaux afin de financer les investissements vers les technologies dites « vertes », plus respectueuses de l’environnement. C’est l’enjeu de la Taxonomie européenne qui reconnaît que le nucléaire a sa place dans les investissements verts, non sans conditions à respecter. 

Il est vrai que le nucléaire émet 70 fois moins de CO2 que le charbon, 40 fois moins que le gaz et même… 4 fois moins que le solaire. L’électricité d’origine nucléaire est donc bas carbone. Mais au regard du contexte géopolitique actuel et pour pallier un éventuel risque de pénurie en Europe, le gaz naturel - qui est la moins polluante des énergies fossiles - apparait comme une alternative de transition.

Le nucléaire est-il toujours une énergie d’avenir

Le saviez-vous ?
« Le nucléaire est une énergie bas carbone, pilotable en continue, compétitive et économe en ressources puisque 96 % du combustible usé est recyclable »

On assiste à une reconnaissance de plus en plus marquée dans l’opinion publique et sur la scène internationale du rôle du nucléaire dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans la construction de la souveraineté énergétique.

agences intergouvernementales (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat - GIEC, Agence internationale de l’énergie - AIE), dans leurs derniers rapports, voient de plus en plus le nucléaire comme un levier indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Fin septembre 2022, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a revu ses prévisions à la hausse, et table désormais sur 870 GW de nucléaire en 2050. Elle misait auparavant sur 790 GW, contre 390 GW actuellement.

En France, les annonces du président de la République à Belfort, en février 2022, relancent le programme nucléaire avec la construction de 6 EPR2, dont le premier devra entrer en exploitation en 2035, et des études pour 8 EPR2 supplémentaires. Le plan prévoit aussi la prolongation des réacteurs existants, en particulier le palier 900 MW, ainsi que des investissements à hauteur de 1 milliard d’euros d’ici 2030 alloués au développement de réacteurs avancés : des réacteurs de petite taille innovants.

Aux États-Unis depuis quelques années, une forte dynamique est à l’œuvre pour accélérer l’innovation dans le secteur. Grâce à un programme de plus de 4Md de $ de subventions, les USA misent sur le développement des réacteurs avancées en soutenant des start-up. L’ambition est claire : regagner une souveraineté dans le nucléaire, avec la même méthode qui a permis de voir émerger SpaceX dans le spatial ou Tesla dans l’automobile ! Le niveau de soutien s’est accentué avec l’invasion en Ukraine et la dernière loi sur l’inflation qui consacre 700 M$ pour la fabrication de combustibles hautement enrichis pour ces réacteurs.

D’autres pays misent de nouveau sur le nucléaire en réaction à la crise énergétique. Ces derniers mois, pour ne citer que 3 exemples :

  • la Belgique a fait le choix de prolonger certains de ses réacteurs ;
  • aux Pays-Bas, l’accord de coalition du nouveau gouvernement prévoit la construction de deux nouvelles centrales nucléaires ;
  • le Royaume-Uni a décidé de tripler la puissance nucléaire installée en capacité d’ici 2050, dans le cadre d’une nouvelle stratégie sur la sécurité énergétique. Le gouvernement vise ainsi 24 GW de nucléaire (contre 7 aujourd’hui) en 2050.

 

Le saviez-vous ?
« 62 réacteurs sont en construction dans le monde. La Chine a mis en service 35 réacteurs entre 2010 et 2020 » 

L’arrivée d’une nouvelle génération de réacteurs innovants, comme les petits réacteurs modulaires type SMR/AMR, va faire basculer le nucléaire dans une nouvelle ère. Plus compacts, moins coûteux à fabriquer avec un cycle du combustible permettant la diminution de la quantité de déchets, ils représentent une réelle complémentarité avec les EPR.

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